Le monde de la recherche en design. Survol du 30-Day Research Challenge, Volet 1

Le 17 avril 2020, en plein cœur du grand confinement, Ken Friedman lançait le 30-Day Research Challenge sur la liste de diffusion PHD-Design. Il s’agissait de profiter de l’interruption des routines provoquée par la situation sanitaire mondiale pour inviter les membres de cette liste à décrire en quelques lignes leurs champs et intérêts de recherche.
Ainsi, du 17 avril au 20 mai 2020, sur les plus de 3 000 membres que compte la liste PHD-Design 60 personnes se prêtèrent au jeu.

Les textes produits dans le cadre de ce défi d’écriture nous sont apparus pouvoir offrir une occasion intéressante d’analyser le champ de la recherche en design et les préoccupations des designers. Nous avons voulu baliser ce champ en soumettant le corpus de textes produit à une analyse simple basée strictement sur la fréquence d’apparition des mots utilisés par les participants du 30-Day Research Challenge.

La démarche entreprise est d’abord exploratoire. Elle n’a été guidée par aucune hypothèse forte et, pour être honnête, elle participait également à un simple effort de familiarisation avec un outil d’analyse qualitative. Au regard de certains débats qui ont ponctué les discussions apparues sur cette liste au cours des dernières années, nous avons tout de même souhaité soumettre ce corpus à trois grandes questions. D’abord, les préoccupations des participants ont-elles un sexe ? Les études féministes et la réalité des luttes pour le droit des femmes dans le monde du travail se répercutent-elles sur les thèmes évoqués dans les profils des participantes au défi. Ensuite, le monde dans lequel évoluent les participants, qu’ils soit praticiens, universitaires ou chercheurs, délimite-t-il des thèmes de recherche particuliers ? Quelle est donc la réalité de cette « tour d’ivoire » dans laquelle les universitaires se voient trop souvent accusés de s’enfermer ? Enfin, existe-t-il une différenciation géographique et, partant, culturelle des questions et objets de réflexion traités par les designers ? Quelle est donc l’ampleur de la « colonisation » du champ du design par l’envahisseur anglo-saxon ?

Nous avons ainsi importé l’ensemble des contributions fournies dans le cadre du défi lancé par Friedman dans le logiciel Nvivo. Pour faire notre analyse, nous n’avons retenu que le cœur des réponses des auteurs. Nous avons exclu les en-têtes, signatures et formules de politesse. Au départ, nous avons souhaité baser nos classements sur le seul contenu des réponses proposées dans le cadre du 30-Day Research Challenge. Toutefois, plusieurs recherches sur le web ont été nécessaires pour préciser le genre des prénoms des participants, leur pays de résidence, etc.

Le commentaire développé dans le cadre de cet article s’appuie quasi strictement sur les nuages de mots générés par le logiciel utilisé. Ce mode de visualisation demeure assez limité et relativement trompeur. En effet, l’organisation du nuage de mots n’est basée que sur la fréquence d’apparition d’un mot dans les corpus analysés. Or, les nuages de mots produits par Nvivo présentent les mots selon différentes couleurs. La documentation fournie avec le logiciel ne nous a pas permis de déterminer le principe qui permet d’attribuer les couleurs aux mots. De même, l’information essentielle livrée par les nuages de mots est contenue dans la seule taille des lettres des mots. La position des mots dans le nuage et relativement à d’autres mots du nuage ne semble avoir aucune signification particulière. Enfin, il faut noter que les nuages de mots générés par Nvivo ne rendent compte que des 100 mots les plus fréquents d’un corpus ou d’un sous-corpus.
Les analyses que nous proposons ici sont encore largement sujettes à caution. D’autres questions, plus fines, pourraient sûrement être explorées sur la base de ce même corpus de données (je m’apprête à rendre publiquement disponible le fichier de données sous format .nvpx).

Description de l’échantillon

L’échantillon comprend les 60 contributions des participants au 30-Day Research Challenge. On peut dire que ce défi a eu un succès plutôt mitigé auprès des membres de la liste PHD-Design qui compte plus de 3 000 inscrits. Plusieurs de ces participants ont d’ailleurs souligné que leur réponse représentait leur première intervention sur cette liste. Ainsi, non seulement notre échantillon n’est pas représentatif des membres de cette liste de diffusion, mais il serait important de pouvoir caractériser cette sous-population qui s’est sentie davantage interpellée par la proposition de Friedman. On pourrait supposer que la contribution à ce défi représentait une occasion de rompre un isolement professionnel qui pèse sans doute plus lourd chez les personnes les moins intégrées à leur organisation d’attache, comme c’est parfois le cas des nouveaux chercheurs et C.Phil qui ont été nombreux à participer au défi.

Suivant les trois principes de classement indiqués plus haut, l’échantillon se répartit ainsi.

L’attribution des genres aux participants a été basée sur l’usage courant des prénoms qu’ils ont utilisés dans leur message. Il n’est pas impossible que certaines erreurs se soient glissées dans notre classement, mais nos analyses doivent certainement tenir compte du fait que notre corpus est largement constitué de discours d’hommes (voir le Tableau 1).

Tableau 1 : Répartition des participants selon le genre

Les catégories concernant l’occupation des participants ont été construites sur la base de classes prédéfinies par lesquelles nous souhaitions distinguer les discours des universitaires des discours des praticiens. La lecture des profils nous a amené à raffiner ces catégories alors qu’il semble que certains participants du défi exercent à titre de chercheur dans des organisation hors université. Quoiqu’il en soit, on remarque au tableau 2 que la grande majorité des participants au défi est issue du monde de la recherche.

Tableau 2 : Répartition des participants selon leur occupation principale

Sur le plan géographique, le tableau 3 montre que la répartition des participants est limitée. Les champs et intérêts de recherche des participants occidentaux et issus des pays riches du nord du globe sont donc largement sur-représentés dans notre corpus. La liste PHD-Design essuie d’ailleurs occasionnellement des critiques à ce sujet puisque les voix minoritaires des pays du sud et de populations marginales y recevraient peu d’attention.

Tableau 3 : Répartition des participants selon la région de résidence

Les mots du champ du design

Il est rassurant de constater que, malgré le contexte sanitaire particulièrement alarmant dans lequel s’est tenu le 30-Day Research Challenge, les propos des participants ont bel et bien porté sur le design, la recherche et le travail qui y est associés. Comme l’indique la figure 1, les termes qui se rattachent à ces idées sont très largement majoritaires dans notre corpus.

Figure 1 : Nuage de mots utilisée dans toutes les réponses

Dans la mesure où nous cherchions à explorer les sujets et champs de recherche dans lesquels les participants sont engagés, nous avons exclu du corpus de mots analysé un ensemble de mots communs à tous les profils, de même que plusieurs mots outils. Ce fût notamment le cas des mots « design » et ses dérivés, « times », « develop », etc. Nous avons fait cette sélection parmi les mots apparaissant plus de 10 fois dans le corpus. Une fois le corpus débarrassé de ces termes non discriminants, on constate, suivant la figure 2, que la recherche demeure le sujet le plus courant dans les profils des participants. Le corpus reflète donc bien la part des chercheurs dans cette population.

Figure 2 : Nuage de mots utilisés dans toutes les réponses, hors mots non discriminants

Le plus intéressant, toutefois, concerne les nombreux termes dont l’usage est très uniforme dans l’ensemble du corpus. Ici, le nuage de mots est moins révélateur. Si on examine la liste des mots utilisés (voir Tableau 4), classés selon leur fréquence d’apparition dans le corpus, on remarque que les termes pouvant s’apparenter à des champs ou des objets de recherches, des concepts, des terrains d’enquête, sont plutôt rares. Le terme « social » et ses dérivés « socialism, socially » arrive en 8e position dans ce classement avec 59 apparitions dans le corpus. Plus loin, on retrouve le terme « technology » (13e position), le terme « humanity » (14e position), le terme « interaction » (16e position) et le terme « art » (17e position) et leurs dérivés. Les concepts de culture, information, communication suivent entre les 21e et 25e positions. Le terme « experience », classique en design, apparaît à la 26e position, juste avant « wellness » qui, utilisé 34 fois, représente le 28e mot le plus fréquemment utilisé. Au total, on remarque que le corpus fait une grande place à des termes et concepts qui renvoient au rôle social du design, ceux déjà mentionnés, mais également « community », « people », « person », « living ».

Tableau 4 : Liste des mots les plus fréquents

À l’inverse, il semble étonnant de voir apparaître si peu souvent les termes « sustainability », « health » ou « participatory ». Il est toutefois important de tenir compte du fait que notre analyse porte sur des données n’ayant subi que très peu de traitement. Il est possible qu’une analyse des cooccurrences de mots dans le corpus nous amène à contredire ces interprétations qui restent très superficielles.

Dans notre prochain billet, nous allons appliquer à notre corpus quelques analyses différenciées afin de répondre aux questions générales indiquées plus haut.

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