Le 12 juin dernier, nous présidions un colloque tenu dans le cadre de la 5e conférence de la Société italienne d’étude des sciences et des technologies, à Milan. Nous avions convié les participants à tenter de réfléchir avec nous à ce qui est aujourd’hui largement appelé le « design social ».
De notre point de vue, il est loin d’être acquis que le terme de design social ne recouvre une réalité univoque, ni même qu’il ne dessine une façon de pratiquer le design qui représenterait une innovation fondamentale dans l’histoire de la discipline. À notre sens, donc, les théoriciens et promoteurs du design social ont peut-être sous-estimé la difficulté que représenterait la constitution de ce champ de la pratique du design.
Afin de susciter la confrontation des points de vue, nous avons proposé d’examiner plus en détail ce que l’on pourrait appeler le « moment critique » de l’acte de design, c’est-à-dire le moment où le designer détecte une insatisfaction vis-à-vis du monde, moment qui le propulse dans un projet pour rendre ce monde plus habitable. Il nous semblait que ce moment de critique avait le potentiel de dénoter le regard particulier que le designer pose sur son monde. D’une certaine façon, nous nous demandions quel est donc ce regard critique qui pourrait distinguer l’engagement particulier du designer social ?
Cette question et les présentations des participants ont donné lieu à une longue discussion en plénière lors de laquelle deux positions ont émergé. Pour certains la question du design social est réglée : il s’agit bien d’une pratique du design distincte qui est caractérisée par le fait que ceux qui s’y engagent s’y engagent par une sorte de pur altruisme. C’est l’altruisme, la bienveillance que manifesteraient ceux qui le pratiquent qui caractériseraient le design social. Comme certains participants l’ont souligné, une telle position reste naïve. Les designers sociaux n’ont pas le monopole de l’altruisme, voire de la bonté. L’altruisme, pour autant qu’il signifie de centrer son action sur le bien d’autrui, est fondamental à la pratique du design : comprendre et servir l’« autre » est au cœur du projet de design. Par ailleurs, définir le design social comme un design s’exerçant en dehors de la dynamique du marché est également apparu comme une position qui présente d’importantes limites. En outre, elle suppose que le marché n’est pas une forme d’organisation sociale.