Lundi le 10 et mercredi le 12 décembre 2018 ont eu lieu les deux premiers ateliers de codesign prévus dans le cadre de idebium. Ces ateliers nous ont permis de creuser certains enjeux aperçus au cours des derniers mois passés au contact des usagers de la bibliothèque EPC-Biologie, tout en mettant à l’épreuve un protocole d’atelier et une partie de notre outillage.
Contrairement à ce que nous avions anticipé, cette première itération de nos ateliers collaboratifs, principalement dédiés au personnel des bibliothèques, n’a pas réussi à mettre au centre du travail les enjeux spécifiques aux pratiques et missions de cette population : nous ne sommes pas encore entré dans l’arrière boutique des bibliothèques. Malgré cette impression persistante de rester à la surface des choses, au seuil du guichet de service, ces deux séances ont jeté un éclairage important sur la mission du projet tout en ouvrant de nouvelles perspectives qui devront être intégrées aux prochaines étapes.
Au total, les deux ateliers ont réuni 41 participants issus de 19 bibliothèques et services du réseau de bibliothèques.
Répartition des participants selon leur rôle dans les bibliothèques Répartition des participants selon leur bibliothèque d’attache
Le protocole suivi lors de ces ateliers visait à soumettre les participants à quelques hypothèses de concept martyrs conçues par notre équipe de design, puis à les engager dans un effort de redesign de ces hypothèses. Les séances d’atelier ont débuté par un examen critique de ces concepts. Cette phase de critique a ensuite fait place à un travail de conception de trois nouvelles hypothèses, l’une d’elles devant être raffinée pour être présentée en plénière. Les outils utilisés ont été empruntés au domaine de la prospective stratégique. Nos hypothèses martyrs s’inscrivaient dans l’un des quatre espaces-problèmes que nous avions structurés en combinant deux par deux, quatre axes d’indécision, ou d’incertitude. En croisant orthogonalement ces axes qui opposent certains enjeux contradictoires, on dessine quatre espaces divergents, quatre mondes potentiels auxquels il faut alors, à chaque fois, apporter une réponse adaptée.
Les enjeux que nous avons souhaité traiter à ce stade du projet, et qui ont été formalisés dans les axes d’incertitude, avaient émergé de l’ensemble des discussions que nous avons pu avoir avec le personnel d’encadrement des bibliothèques, avec leurs employés, leurs usagers. La compréhension qui a découlé de ces discussions a été étoffée par les expériences individuelles de chaque membre de l’équipe de design.
Au moment de la phase de conception, afin de soutenir le travail d’imagination des participants, nous avons reproduit sur des cartes individuelles un ensemble de 40 conjectures développées au cours de l’automne par l’équipe de design et que les usagers de la bibliothèque EPC-Biologie avait pu commenter. Certaines de ces conjectures, combinées entre elles, nous ont permis d’illustrer les concepts-martyrs soumis à la critique des participants de l’atelier et de fournir une entrée en matière pour l’effort de conception subséquent.

Bilan, discussion
Une des leçons apprises lors de cet atelier concerne le projet général de changement à la bibliothèque de l’Université de Montréal. Bien sûr, ce projet rencontre des résistances qui s’expriment régulièrement dans nos conversations avec les différents membres de la communauté universitaire. Au regard des discussions menées dans le cadre de l’atelier, il apparaît de plus en plus problématique de disqualifier ces résistances en les considérant d’emblée comme illégitimes. Le changement, tout comme le statu quo doit trouver sa justification. Si, à la lumière de l’histoire récente des bibliothèques, il peut paraître rétrograde de s’attacher à l’immuabilité de leur mission, il est tout aussi déraisonnable de promouvoir des transformations structurelles importantes qui ne trouveraient pas une assise dans les changements idoines des conditions de fonctionnement des bibliothèques. Ainsi, un des objectifs qu’il faut maintenir au cœur de cette initiative concerne l’élucidation des conditions de fonctionnement actuelles et futures des bibliothèques universitaires. C’est à l’épreuve de ces conditions que le travail de conception de la bibliothèque doit être soumis. Il nous faut donc revoir notre protocole afin qu’il fasse une place plus large à ces conditions de fonctionnement.
Quelles sont ces nouvelles conditions ? De prime abord, on peut regrouper deux types de conditions : des conditions populationnelles et des conditions technologiques.
Sur le plan populationnel, le monde universitaire fait face à un contexte en évolution. Il apparaît notamment crucial de s’interroger sur l’impact du vieillissement de la population étudiante tiré par les retours aux études et les exigences de la formation continue. D’autres conséquences pourraient ressortir de l’accroissement du nombre d’étudiants de première génération ou issus des minorités ou étrangers. La généralisation du travail en parallèle aux études représente également une réalité qui peut avoir un impact sur les bibliothèques, tout comme l’enjeu de la conciliation travail-famille-étude.
Les transformations du contexte technologique doivent également être examinées. Il ne s’agit pas seulement de comprendre les impacts de la numérisation des fonds, mais également ceux de la disponibilité des sources hors campus, de l’indiscernabilité de leur qualité, des enjeux de leur découvrabilité. Mais les transformations technologiques ne relèvent pas des seules technologies de l’information. Elles concernent également l’émergence de nouvelles pédagogies, de nouvelles pratiques d’étude, de nouvelles formes de collaboration et de nouvelles façons de faire la science qu’il faut examiner afin de comprendre leur impact sur la mission et le fonctionnement des bibliothèques universitaires.
Ces deux séances d’atelier ont également permis de faire émerger des enjeux plus particuliers, mais qui semblent tout aussi cruciaux. D’abord, l’importance de la liaison entre corps enseignants et bibliothèques a été soulignée. La régulation des comportements des usagers a été évoquée. Les exigences propres à l’agrément des programmes d’enseignement octroyé par les autorités professionnelles sont apparues comme des contraintes inévitables. L’intégration du rôle social de l’université dans la mission des bibliothèques soulève également un certain nombre de difficultés. Ces enjeux relèvent notamment de la disponibilité limitée des ressources, du respect de la propriété intellectuelle, voire du respect de la vie privée et de la confidentialité.
Afin de confronter les participants aux conditions changeantes du fonctionnement des bibliothèques universitaires, il semble important de faire apparaître plus clairement ces conditions lors du travail en atelier. C’est à cet effort que nous allons nous plier lors des prochaines séances.