L’histoire est sauve, les designers sont là. Retour, mi-Stout mi-IPA, de la conférence CUMULUS Dublin

Je vous aurai averti : la nouvelle maxime-valise qui va envahir le discours de la communauté des designers est « le designer doit se faire storyteller ». Pourquoi le designer serait-il un storyteller et non un ethnographe, comme plusieurs s’évertuent à le démontrer, tant sur le plan théorique que dans le cadre de leur pratique ? Peut-être que de regarder un peu plus précisément vers cette tradition déjà bien constituée serait vécu comme une trahison par les artisans de la discipline en devenir en laquelle certains voient le design. Ceux-là trouveront peut-être le temps et l’énergie, les ressources et le savoir-faire pour réécrire les œuvres de Charles Wright Mills, de Howard Becker, de Maurice Godelier, de Marcel Mauss ou de Harold Garfinkel. D’autres, comme moi, se plongeront sans attendre dans ces travaux fascinants qui analysent par le menu les voies d’un récit ethnographique et sa capacité à se transformer en explication ou, pour notre propre compte, en capacité d’action soucieuse du bien commun. Et tant pis si le design devient sciences humaines…

Je ne peux pas vous raconter comment le workshop s’est terminé. Après 2h30 de présentation magistrale et à 30 minutes de la fin de la séance, il restait encore à un dernier intervenant à venir nous éclairer sur cette mystérieuse assertion du designer « storyteller ». Comme j’ai tendance à prendre ces situations trop à cœur, le dialogue aurait pu devenir désagréable. Je me suis donc enfui. Dans la salle, une trentaine de personnes entretenaient sans doute encore l’espoir qu’on allait les faire travailler ; qu’on allait leur donner 30 secondes pour réagir, pour qu’on leur donne enfin la chance de faire la preuve qu’ils sont des chercheurs consciencieux qui vont à ce genre d’événements parce qu’ils veulent y accomplir un authentique travail de confrontation critique de points de vue et non faire payer à leurs concitoyens la ligne de CV supplémentaire dont ils auront besoin sur leur prochaine demande de subvention. Quand je pense à ces milliers de kilomètres aériens parcourus par cet auditoire, ces tonnes de kérosène brûlées dans l’espoir au moins partiel qu’ils allaient enfin pouvoir discuter de ce que représente le design pour la transformation sociale : le réseau Design for social innovation and sustainability mérite-t-il bien son nom ?

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